Je suis un miroir (Anne-Léonore)

Je suis un miroir

Je crois que je peux le dire sans prendre le risque que l'on me contredise. Je fais de l'effet avec mes reflets. Mon impact n'a plus besoin d'être démontré. On m'aime ou l'on me déteste, ça dépend des jours. Ou que je sois, on me repère rapidement, on me cherche du regard et j'exerce inlassablement mon pouvoir d'attraction. Ma présence est devenue indsipensable. Une absence et c'est la panique. 

 

Mon pouvoir s'est démultiplié depuis que l'apparence a pris une si grande place dans la vie des hommes toujours en quête d'amour et d'attention. Cela ne fait pas si longtemps, en effet, que je suis rentré dans leur intimité au point de les accompagner partout tout le temps. Il fut un temps où l'on ne me trouvait que chez le coiffeur. Et avant moi, il fallait se pencher sur la surface de l'eau pour se voir au risque d'y tomber et de se noyer. On était averti du danger, me direz-vous. 

 

Oui, la peur du rejet et le désir énergivore de plaire ont garanti mon succès. Comme une drogue, les hommes sont devenus accros. Une dépendance qui peut les amener à connaître le meilleur comme le pire. En me regardant, soit ils décollent et atteignent assez rapidement un stade euphorique, soit ils chutent et sombrent dans un bad trip. Bon, entre nous, si je peux me permettre, mes clients sont des êtres plutôt exigeants et très critiques. Assez rarement satisfaits d'eux-mêmes. 

 

Bref, revenons à mon impact. Toute cette attention, c'était sympa un moment. Mais tout ce pouvoir et toutes ces attentes, quelle responsabilité! Ça met la pression! Et en même temps, je me sens totalement impuissante. Oui, je suis condamné à renvoyer une image réelle à celle ou celui qui me regarde. Je suis incapable de mentir. Moi, je n'y suis pour rien, je suis juste un messager. Et votre messager en ce moment il en a gros sur le coeur. Toutes ces émotions qui le traversent sont en train de l'épuiser. Je me réconforte de temps en temps avec le reflet d'un sourire lumineux. Mais, c'est de plus en plus rare. Si je ne vois pas bientôt une évolution dans l'importance accordée à l'image et l'apparence, je crains de finir en burnout. Et ensuite vous ferez quoi? Vous avez déjà pensé à un monde sans miroir ?

Anne-Léonore