Pourquoi j'écris ? (Vincent DE VEVEY)
Pourquoi j’écris ?
J’écris pour plusieurs raisons, et aucune d’elles n’est totalement rationnelle.
J’écris d’abord pour mon plaisir, parce que poser des mots sur une page m’apaise, me permet de réfléchir, me structure, et m’incite aussi à faire des recherches historiques.
Je m’explique : j’écris également pour transmettre, laisser une trace de ce que j’ai reçu, de ce que j’ai vécu, de ce que j’ai appris avec le temps.
En ce moment, ce que j’écris a un double objectif : rendre hommage à mes ancêtres — plus particulièrement à ma mère —, ainsi qu’offrir à mes deux petits-enfants un petit récit, un repère biographique dans l’histoire de notre famille commune.
Quelles sont mes attentes ?
Je n’attends ni applaudissements, ni remerciements.
Je désire construire un pont, trouver une connexion entre les générations.
J’aimerais que mes petits-enfants, en lisant ces lignes, ressentent quelque chose :
de la curiosité pour leurs origines, de la tendresse pour ceux qui les ont précédés, et peut-être même un sens de la continuité, malgré la diversité des langues, des coutumes, des guerres, des frontières, des exils.
Et s’il y avait un point A et un point B ?
Alors, le point A, c’est ici : moi, aujourd’hui, en train d’écrire.
Le point B, c’est eux : mes petits-enfants, dans quelques années, découvrant cette histoire.
Entre les deux, il y a cette écriture.
Le chemin, c’est le récit.
Le véhicule, ce sont les souvenirs et les faits historiques que je rassemble.
Ce sont les voix de ceux qui ne peuvent plus parler, que je veux faire entendre et laisser vivre dans nos cœurs.
Que voudrais-je trouver au point A ?
De la paix, peut-être.
Le sentiment d’avoir fait ma part, et que ces vies passées, souvent oubliées, ne soient pas restées dans le silence.
J’éprouve aussi, je l’avoue, une certaine joie d’avoir pu assembler tout cela, comme un puzzle de mémoire.
Quels sont les apports de l’écriture ?
L’écriture ouvre des portes intérieures, celles de la mémoire.
Elle crée des ports où viennent accoster les souvenirs.
Elle conçoit des ponts de transmission, où l’on dépose ce que l’on a de précieux.
Le port de la création, où l’on recompose à partir de fragments.
Où l’écriture me mène-t-elle ?
Parfois, l’écriture devient un bateau : elle nous emmène ailleurs, dans le passé ou dans l’intime.
Mais dans tous les cas, elle me ramène chez moi, paradoxalement.
Dans cette maison intérieure pleine de voix anciennes : Celle de mon grand-père slovène, formé comme machiniste par l’Empire austro-hongrois, enrôlé dans la guerre pour lutter contre un ennemi qu’il ignorait, capturé par les Russes et envoyé en Ouzbékistan, à Tachkent.
Celle de ma grand-mère qui, avec deux autres jeunes filles ayant réussi « l’université » — une sorte d’académie russe —, reçoit en récompense le libre accès aux trains menant vers la route de la soie, où elles vont également travailler.
Mais la Première Guerre mondiale éclate.
Les civils n’ont plus le droit de voyager en train.
La rencontre improbable de mes grands-parents à Tachkent, leur vie de plus de trois ans en Ouzbékistan, leur retour en Slovénie, leur installation à Maribor.
Puis la naissance de ma mère, parlant le russe et le slovène, mais formée en allemand dans l’Empire austro-hongrois un temps, puis prise à son tour dans la tourmente de la Seconde Guerre mondiale.
Et enfin, l’exil, avec mon père — slovène également, de Maribor —, en Croatie, car il était architecte naval et spécialiste de l’équilibre des bateaux.
Ensuite, la naissance de ma sœur jumelle et moi, en janvier 1954, dans ce pays devenu la Yougoslavie…
Et me voilà, aujourd’hui, en train d’écrire.
Un fil tendu entre eux, moi, nous, et vous, mes petits-enfants.
Alors non, ce thème n’est pas si "inutile".
Il m’a permis de rassembler des morceaux de mon histoire, pour que vous, un jour, puissiez dire :
« Je crois savoir d’où je viens, quelles sont mes racines. »
Et c’est sans doute ça, le but de toute mon écriture.