Pas de thème, ... pas de titre (Guy Minet)

Pas de thème, … pas de titre
Un songe, peut-être un rêve. L'absence. Il me suffirait peut-être que d'un mot pour écrire une phrase. Une phrase, rien qu'une phrase pour faire naître un livre.
Pourquoi pensais-je à ces vieux haïkus japonais, paresseux, éternels.
" Ce chemin –
Seule la pénombre d'automne
L'emprunte encore ".
Elle était jeune, moi aussi, nous étions des enfants. Ses cheveux bouclés, châtains sentaient bon. Ses yeux bleus, ses petits seins. Elle est morte aujourd'hui. Je ne sais pas pourquoi.
Les vieux aussi sont partis. Longtemps, ce fut l'absence de leur présence. Pour toujours maintenant, ce sera la présence de leur absence. Ils ne me manquent pas, enfin je crois. Mais je n'en suis peut-être pas si sûr. Mes enfants seront-ils aussi sévères. Ça dépend de moi.
Sur le mur, une photo de la petite. Elle est sacrément mignonne. Elle a grandi, évidemment. C'est une femme maintenant. Ma petite puce est partie faire sa vie. C'est la vie. Étonnant d'ailleurs, comme c'est court. Jeunes, on l'entend sans y croire vraiment, et puis, on se retrouve vieux sans avoir rien compris à ce qui s'était passé.
" Ce chemin - Seule la pénombre d'automne L'emprunte encore ". J'aimerais être japonais. J'écrirais :
Une carpe passe -
Un remous.
Un pétale tombe.
A propos, tombe ou crémation. Les deux m'emmerdent. Des cendres sous un arbre. Mais c'est sans doute interdit. Un banian, sur une colline, au Népal (en évitant de finir dans le Gange). Une épitaphe, c'est un minimum. " Faites ce que vous voulez - moi, je reste là ". Ou alors, à la japonaise,
Une stèle pour paraître.
Ne plus être.
Ici, je m'arrête.
T’as pas l’impression que les antidépresseurs font moins d’effet ? J’ai soif. Il n’y a plus de whisky. De toutes façons, il est trop tôt pour un whisky. Un verre de blanc, avec de la glace, s’il en reste.
Il en reste. Je glisse le verre froid sur mon front, en souriant. Il ne se passe rien là-haut mon p’tit gars. Et l'ivresse ? Peut-être, Oui. L'ivresse des grands compositeurs, qui créent dans un état second, exaltés, frénétiques, transportés par le génie pur. Un autre verre. Obstination ! Comme un papillon percute une ampoule en croyant y trouver la lune.
Faut dire aussi que je me suis éclaté. Le choléra, les camps de réfugiés, la savane avec ma vieille Land, le pétard au bec. Des gamins qui grandissent pieds nus sans connaître l'hiver. Bangkok, Gorazde, Katmandou, Banda Aceh. Le sable de Zanzibar, l'odeur de l'Ebola. Kosovo, ce petit bonhomme qui fui dans la boue, les obus qui tombent. J'étais content de le récupérer celui-là.
Le jour se tarit déjà. Le soleil se fait rasant. Tiens ! Une femme passe. Elle est blonde et porte un large chapeau de paille. Longiforme, elle marche vite. Ses talons cliquettent. Sous sa longue jupe de satin, ses jambes l'emmènent tel un astrolabe, vers l'inconnu.
Qui est-elle ?
Voyage désordonné. La feuille, moi, l’encre, rien d’autre, et tellement rien de plus. Le vent soulève un peu de poussière pour en faire un petit nuage rose. Il file puis disparait.
Demain, j'écrirai. J’écrirai un roman. Ou peut-être que d'écrire, c'est aussi tracer les contours du silence. Après tout, l'éternité ne fait pas plus de bruit qu'une carpe qui passe.
Tout est là, dans ce rien.
 
Challex, printemps 2025