Je fais le plein d'encre et je vous rejoins - Guy

Je fais le plein d’encre et je vous rejoins
(fond sonore : Bach : cello suite #1, prélude)
I.   Cette encre des poètes, cette encre empanachée des lettres secrètes et déliées.
De celles qui courent comme un baiser sur une joue rosie, de celles qui embrasent les amants balbutiants, qui s’enfile au fil de sa prose.
Cette encre volubile, cette encre traversante, cette encre musicale, sculptée comme un voile de soie
De celles qui nous font grandir, de celles qui nous construisent, qui nous soulagent de n’être que des hommes.
Alors je ferai naitre le rêve, j’embrasserai les rimes jusqu’à l’infini, je chavirerai vos âmes.
Et puis, et puis je vous appartiendrai.
II.  Cette encre de colère, cette encre rageuse, qui germe, qui refuse
De celles qui gueulent plus haut que leurs prêchoirs, plus fort que leurs réquisitoires, plus noires que ses terrils
Cette encre indélébile, cette encre d’anars, d’activistes ; éternelle, qui cogne, désespérée, révoltée.
De celles à qui l’on doit tant, de celles qui montent aux barricades, de celles qui crient « I had a dream ».
Alors, j’accuse. Alors, je dénonce, je récuse.
Et puis, et puis je vous regarde.
III. Cette encre de la honte. Cette encre sanglante et tyrannique.
De celles qui tatouent des matricules, de celles qui tuent comme on abat un chien, de celles qui puent la pisse, la pisse de la peur.
Cette encre vomie. Cette encre propagande et cynique
De celles qui s’écrivent en gothique, en hébreux, en mandarin, en arabe, en Twitter ou en cyrillique.
Alors j’englue les âmes, je fabrique le mensonge, je construis la haine.
Et puis, et puis je vous emmène dans la nuit.
IV. Cette encre absente, disparue, pixélisée. Cette encre qui ne rit plus, cette encre qui ne pleure plus.
De celles qui nous larguent des pralines célestes d’emojis en se croyant émotives, de celles qui rotent des lol, des omg en pensant … penser
Cette encre triste. Cette encre qui trahit l’abandon, qui sent la simplicité, horriblement simple.
De celles qui rendent cons ceux qui ne le sont pas déjà.
Alors, à force, on pensera pour vous. Vous oublierai.
Et puis, et puis, je vous regretterai.
V.  Lève-toi, petit homme
Reprends ta plume. Chiale, gueule, bande, regarde le monde et dis-moi qu’il te manque.
Regarde-toi, nom de Dieu. Regarde ce qu’il reste de toi.
Crois-tu que sans toi, Villon, Verlaine, Mozart auraient-ils écrit dans le sable que la mer et le vent ne les auraient, depuis longtemps effacés.
Alors, alors seulement, je ferai le plein d’encre et je te rejoindrai.
 
                                                                                                Challex, une nuit d’orage au mois de mai 2025