Dans les yeux de mon animal de compagnie (Christophe P.)

Je me sens tout engourdi, j'ai les pattes figées, l'échine raide, la gueule sèche, les griffes affutées, il faudrait que je bouge un peu, que je puisse me détendre.
Voilà, en effet, maintenant un bon moment que je suis dans cette posture, installé sur cette branche, dans cette entrée, immobile, à observer silencieusement ce qui se passe tout autour de moi.
Les enfants du couple qui m'a offert ce refuge se préparent à partir à l'école, le petit Charles-Edouard à encore une tartine dégoulinante de confiture à la main, sa grande sœur Marie-Dominique le tire énergiquement par l'autre manche pour l'entrainer vers l'extérieur, de la confiture tombe sur les carreaux de terre cuite.
"Dépêche-toi Charles-Edouard, nous allons être en retard, j'entends notre chauffeur qui arrive !" Insiste-t-elle.
Puis c'est au tour du papa, Aimé, de saisir son chapeau déposé la veille au soir sur le porte-manteau perroquet, d'ajuster sa cravate et de vérifier sa tenue dans le grand miroir Louis Philippe aux angles supérieurs arrondis et aux moulures richement ornées de feuilles d'acanthe dorées.
"Bonne journée mon Amour !" lui clame Aimé, sa moitié depuis la salle de bain de l'étage, "n'oublie pas ton parapluie, le temps paraît maussade aujourd'hui".
"Bonne journée mon Amour !" lui renvoi Aimé en écho.
Puis, empoignant son vieux Cherbourg, il continu : "si tu as un moment dans la journée peux-tu s'il te plaît passer chez l'antiquaire pour lui confirmer que nous acceptons sa proposition et que nous lui cédons volontiers le magnifique animal empaillé, installé dans l'entrée, que nous avons chiné l'an dernier à Dauville, il fait trop peur aux enfants, il me glace le sang, le taxidermiste qui a réalisé cette oeuvre devait être un expert avisé, rien qu'à observer son regard, on pourrait croire que ce tigre est vivant, prêt à bondir !"
Ahrrfff (feulement) ... Je vais pouvoir enfin bouger ...

Christophe P.