Dans la salle d'attente de ma psy
Dans la salle d'attente de ma psy (avec un peu d'humour)
J'attends devant la porte de ma psychiatre. Je suis arrivée 10 minutes en avance, pour montrer ma politesse et aussi mon respect.
J’appuie sur la sonnette et j’attends patiemment que la grande porte métallique s’ouvre. Je compte jusqu'à vingt avant de pouvoir finalement entrer. Derrière mon dos, j’entends le craquement de la porte qui se ferme automatiquement. Alors, j’avance dans un petit espace qui me mène vers l’escalier tournant. Je monte lentement dans ce tourniquet en bois où je ne vois pas encore la fin. J'inspire profondément pour mieux m’oxygéner et pour me donner un peu de courage afin de monter les vieilles marches qui me racontent leur propre histoire en les traversant. Ma tête commence à tourner aussi, mais j’y arrive. Voilà le sommet et encore une autre porte où il faut sonner. Alors je touche immédiatement le bouton, et derrière la porte, j’entends des pas qui s’approchent.
« Bonjour », dit madame Jolie en ouvrant, et elle me conduit vers une autre porte, celle de la salle d'attente.
Je m'assieds sur la chaise en bois dont je ne peux deviner l'âge.
La petite salle d’attente donne sur un balcon transformé en jardin, rempli de verdure en désordre, un bric-à-brac. L'air frais entre par la porte entrouverte et j’en inspire généreusement. Entendant le battement de mon cœur excité, j’essaie d’appliquer la cohérence cardiaque pour me calmer. Devant moi, il y a des étagères remplies de livres d'art, d’histoire et surtout de psychologie. Quand mes yeux survolent de droite à gauche pour examiner les titres, deux petits chiens poilus viennent vers moi et commencent à sauter autour de moi avec une joie inattendue.
« Quelle ambiance de bienvenue ! » dis-je à madame Jolie qui est soudainement réapparue entre les murs. Les deux poilus disparaissent subitement dans les habits noirs de la psy, flottant autour d’elle jusqu’à ses pieds. Elle me fait signe de la suivre dans son sombre bureau à côté.
Elle s’assoit devant sa table de travail, bien remplie de plusieurs Tour-Eiffel de papiers. Ma place est sur le vieux canapé, avec ces deux chiens m’accompagnant et un chat qui dort tranquillement dans un coin.
J’observe madame Jolie derrière sa montagne de travail. Sa chevelure noire et ébouriffé bouge pendant qu’elle tape les informations dans son ordinateur, superposé sur deux anciens livres.
Après un moment, je sens ses yeux noirs me regarder à travers ses différents piliers, presque artistiques, qui n’ont pas l’air très stables sur son bureau. Tout d’un coup, des frissons me traversent, mais avant que mon malaise ne soit bien visible, elle m’a interpellée :
« Je vous écoute, racontez-moi votre histoire avec votre fille. L’avez-vous renvoyée de la maison, comme je vous l’ai recommandé la dernière fois ? »
Ma confiance et mon estime de moi sont immédiatement tombées au sol dur, sous le canapé… Ça a dû faire du bruit parce que les poilus ont aussitôt sauté du canapé. Ma voix n’arrivait pas à sortir de ma gorge serrée.
« Non, je n’arrive pas à le faire », dis-je presque en chuchotant, utilisant toutes mes forces surhumaines.
« Alors, si vous n’obéissez pas aux gens qui veulent vous aider, moi aussi, je ne peux plus rien faire pour vous. Adieu, je ne veux plus vous revoir. »
Ses derniers mots ont bourdonné dans mon cerveau tandis que je descendais dans la rue, sans aucun souvenir de comment je me suis retrouvée devant la porte de la Ligue. Ensuite, j’ai osé ouvrir aussi la porte de l’Otium, et c’est ici, dans le cours d’écriture, que ma feuille blanche commence à se remplir. On dit que rien dans la vie n’est un hasard.
Pourquoi aller chez psy ?
Pour trouver la logique dans le hasard, il faut commencer par le début, c’est-à-dire se poser la question : pourquoi cherche-t-on vraiment un psy ? Normalement, la réponse est claire : si on n’arrive pas seul à sortir de la trou noire, on cherche l’aide d’une âme sincère qui nous donne des béquilles pour ajuster nos jambes bancales sur le sol tremblant. En cherchant un psy, on s’imagine rencontrer une voyante qui a des solutions à tous nos problèmes visibles et aussi invisibles, et qui nous aide à découvrir notre troisième œil pour voir plus clairement dans notre intérieur mystérieux.
La psychiatre, Madame Jolie, je ne l’ai pas cherchée. C’est mon avocate qui me l’a recommandée, et j’assume, par son efficacité dans son travail. Pour moi, Madame Jolie était plus magique et mystérieuse qu’efficace. À tour de rôle, nous nous sommes raconté nos vies. Elle avait beaucoup de problèmes avec sa fille majeure, qui était bordélique et ne voulait pas s’adapter à la vie normale dans la famille. La psy l’a virée de la maison sans aucun souci de savoir où elle allait passer la nuit ou les jours suivants. En me racontant cela, le visage de Madame Jolie était froid, sans la moindre émotion. C’est moi qui ai eu des frissons en visualisant ma fille à la place de sa fille. Non, je n’arriverais pas à prendre une décision pareille, non, surtout pas maintenant.
Comme c’était son tour de parler, elle m’a avoué qu’elle était divorcée et que son mari travaillait au même étage, en face de son bureau, et qu’il était aussi psy. Voilà, je me demande si j’ai de la chance ou pas d’être accompagnée par cette dame, chaque fois habillée de noir de la tête aux pieds. À chaque fois, en ressortant de son royaume, en inspirant l’air derrière sa porte, je me suis sentie renaître. J’ai laissé ma pierre lourde chez Madame Jolie, sans aucun remords. C’est son job de ramasser les pierres des gens souciants, de les aider si possible, ou bien de les virer à sa manière, comme dans mon cas, où elle a dû épuiser toutes ses sources de premiers secours. Finalement, elle était bien payée pour écouter mes histoires, alors pas de regrets.