Confidence à mon enfant intérieur

Un après-midi pluvieux, assis tout près de la cheminée, à la chaleur du feu de bois, j'en profite pour trier quelques boîtes de vieilles photos, dans un soupir sentimental, qui me renvoie quelques dizaines d'années plus tôt.

 

A l'ère des appareils numériques où tout est si rapide : vite pris, vite publié, vite liké, vite oublié, je me délecte de laisser filer entre mes doigts ces petits rectangles de papier argentiques vestiges d'une époque désormais révolue, qui faisait avec émotion l'éloge de la lenteur, voire de l'immobilisme : Attention ! Ne bougez plus ... Souriez !

 

Tiens, sur celle-là mon aïeule Albertine, aux allures de Frida Kahlo, partie s'établir à Montévidéo, sur celle-ci mon oncle Joanny, toujours impeccable, avec sa Juva 4. Me voilà sur cette autre, sans doute prise par ma mère les jours précédant un véritable Noël à une époque où la neige prenait entièrement le pays, je dois avoir à peu près 5 ans.

 

Sous le regard attendri et amusé de mon père, scie à la main, je porte fièrement, un petit sapin (j'apprendrais bien plus tard qu'en réalité c'était un épicéa) fraîchement coupé dans la forêt familiale, vêtu de mon anorak, de ma cagoule et de mes bottes.

 

La photo, au format carré encadré d'une bordure, est en noir et blanc, et ses détails restent inscrits à jamais dans ma mémoire : la neige saupoudrant partiellement les champs, le bonnet à pompon, tricoté en grosses côtes de mon père, sa sempiternelle salopette bleue, la couleur vert émeraude de mon anorak, son tissu piqué-matelassé, ma cagoule marron confectionnée par ma mère, qui me gratte le front, ma frange droite qui en dépasse, le froid qui monte du sol au travers de mes fines bottes en caoutchouc, le parfum de la résine fraîche, le poids du conifère sur mon épaule. Un sourire crispé aux lèvres me donne l'air de serrer les dents ... Est-ce juste une impression où est-ce la réalité ?

 

Un conseil, Jeûne Christophe, au fil des années à venir, bien trop souvent tes solides et larges épaules seront sollicitées, tu seras amené à endosser des responsabilités que d'autres, moins fiables, moins bienveillants, ont préféré ignorer ou bien s'en sont désintéressé, et ces poids dont on va vouloir te charger, il faudra que tu apprennes à les évaluer, à en apprécier la complexité, à être plus réfléchis, moins volontaire, pour ne pas que tu ploies ou que tu t'effondres sous leur fardeau. Dans certains cas, il faudra également que tu apprennes à demander de l'aide et à l'accepter, sans pour autant croire que c'est une faiblesse, dans d'autres situations il faudra, chose plus compliquée, apprendre à refuser, quitte à te sentir abandonné ou rejeté.

 

En tous cas, sois en certain, apprendre à bien se connaître pour mieux se protéger n'est pas un acte de lâcheté.

 

Oh ! Je sais que tout cela n'est pas facile à intégrer pour celui dont le prénom signifie "celui qui porte le Christ et le monde entier sur ses épaules" mais ces conseils, Jeûne Christophe, j'aurai tant aimé que l'on m'en fasse profiter à ton âge, cela m'aurait probablement préservé de bien des tracas et évité bien des blessures et des douleurs.

 

Jeûne Christophe, garde ton sourire, ta gentillesse, ta spontanéité et ta sensibilité, retourne paisiblement auprès des autres dans cette boîte cartonnée, au couvercle joliment orné de broderies en papier, jaunies par les années et portant l'inscription "Délicieux Calissons d'Aix".

 

Dehors la pluie s'est désormais transformée en flocons. Il est maintenant temps de remettre un bois au feu. Je referme, avec précaution, l'album de mes souvenirs. Au plaisir de te retrouver. Je t'aime.


Christophe P.