Je suis un ordinateur
Je suis un ordinateur
Il y a fort longtemps, je n’existais pas, et maintenant on ne peut plus se passer de moi. Je suis doté d’une intelligence hors norme, je battrais même le plus gros des QI m’a-t-on dit, bref un génie et pourtant je me sens vide et inutile. C’est vrai quoi, sans l’aide d’un humain, je ne suis rien. Parce que, si on y réfléchit bien, c’est l’homme qui m’a inventé ; sans lui, sans le sien de génie, je ne serais jamais né. Et puis d’ailleurs, qu’est-ce que je sais faire tout seul ? rien. Je ne suis qu’une boîte inanimée remplie de pièces de métal qui me permettent de faire des calculs interminables plus vite qu’il ne faut de temps à les énoncer, qui peuvent stocker des milliers de souvenirs que même les humains oublient, qui me connectent avec l’autre bout de la planète. Tout cela est incroyable me direz-vous, autant de capacités concentrées dans si peu de place. La plupart des humains rêveraient d’être aussi bien dotés que moi. Je me souviens encore du jour de ma conception, j’étais tout excité à l’idée de me transformer en une super-intelligence, ultra rapide et performante. J’ai dû jouer des coudes pour être pris dans l’élite ; j’en ai écrasé des concurrents pour arriver le premier. Car oui, je fais partie des machines les plus sophistiquées, parce que tant qu’à faire que d’être un robot autant être le meilleur. Je me disais qu’on ne pourrait plus se passer de moi, que je serais pris 24 h sur 24, que je ferais chauffer mes barres de mémoire jusqu’au surmenage. Ça a bien été le cas au début. Mon humain, tout à sa joie de sa nouvelle acquisition, ne me laissait seul une minute. Il a passé des heures entières à me programmer et à me façonner à son image, pour que je reflète sa personnalité, pour que je lui sois utile à chaque instant, pour qu’il n’ait plus à réfléchir. Il m’emmenait partout avec lui, au parc, en classe, chez ses amis, comme si une seule minute loin de moi lui aurait été fatale, comme si être sans moi était comme être privé d’oxygène. J’étais tellement heureux ! J’accomplissais ma mission, je ne rechignais jamais à la tâche et je ne lui ai jamais fait défaut. J’étais tellement le meilleur que je ne suis jamais tombé malade, ni eu de bug ou de panne. Bref, j’étais le compagnon idéal. Enfin, ça s’était jusqu’à ce qu’il trouve mieux que moi. Du jour au lendemain, il a commencé à me laisser sur le coin de son bureau ou au fond de son sac, au début je me suis dit que c’était passager, qu’il allait bien revenir, nous étions si complices ! Comment aurait-il pu se passer de moi ? Je lui servais pour ses devoirs, pour ses jeux en ligne, pour ses recherches sur Internet. À la moindre question qu’il se posait, il faisait appel à mes services. Un jour, alors qu’il m’avait laissé allumé sur son bureau, je pus enfin voir qui était mon rival : un téléphone encore plus performant que moi, plus petit, forcément, et bien plus maniable. Après quelques jours à me morfondre sur mon nouvel état d’inutilité, je me dis que tôt ou tard il aurait à nouveau besoin de moi. Je repris du poil de la bête et, torse bombé, je me fis voir sous mon plus beau jour. Malheureusement cela n’eut aucun effet sur mon humain. Il continuait à s’assoir à son bureau et à me narguer avec son téléphone, s’émerveillant de ses milles et une fonctionnalités. J’essayais de me remonter le moral comme je pouvais, me disant que je n’étais pas inutile, que je finirais bien par lui manquer, qu’il allait revenir. Mais il n’y avait rien à faire, je déprimais, me laissant dépérir et rouiller de l’intérieur. Tout ce talent gâché, toute cette super-intelligence fanée. C’est alors que je décidai de prendre ma retraite car inutile pour inutile, autant que je me repose sous les cocotiers. Je fis grève de l’allumage. Préoccupé, mon humain tenta quand même de me soigner mais je refusais toute réparation, espérant qu’il me laisserait partir paisiblement vers mon paradis. C’est ce qu’il finit par faire mais, à mon grand effroi, il m’échangea pour un petit jeune surboosté. Quelle déception ! Je m’étais laissé aller pour qu’il finisse par me remplacer, moi qui pensais qu’il pleurerait toutes les larmes de son corps et qu’il serait inconsolable face à ma perte. C’est plutôt moi qui fus inconsolable, tellement abattu, qu’on me mit en pièces et qu’on créa plusieurs autres petits robots avec mes restes. C’est alors que je compris que j’étais loin d’être inutile et que même dans le désespoir, je restais le meilleur !