De carouge à l’Erythrée, 25 minutes et 32 francs
Tarte aux pommes et velouté de carottes confectionnés avec amour, quelques habits « Petits bateaux »choisis avec soin, des jolis jouets donnés par ma chère voisine Ursula, un nouvel autocuiseur pour remplacer l’ancien; le tout trop encombrant. Un taxi fera l’affaire.
La cinquantaine, le visage buriné, le taximan sourit à pleine dents, même s’il en manque quelques’unes. J’ose lui demander son origine.
Et là, dans un français approximatif, il raconte son Erythrée natale, le dictateur et beaucoup de morts vous savez dit-il, doucement. Il raconte encore, tout sérieux, un an pour arriver en Europe. Le plus dur c’est la traversée du Sahara, 6 mois, agitant l’index sévèrement. On était cent sur un tout petit bateau, 2 jours et deux nuits, j’ai eu peur, beaucoup de morts vous savez, dit il doucement. Depuis l’italie, la tentative en France pour aller en Grande Bretagne. Mais renvoi en Italie, à cause des finger print, montrant le pouce d’un air accusateur. Puis la Norvège, même chose retour en Italie. Sourire las.
Et arrivee en Suisse il ne regardait pas les finger print à l’époque, c’était ma chance, yeux rieurs. J’ai travaillé dur pour avoir les papiers, puis 8 ans chez Caran d’Ache à Moillesullat, sortant du vide poche un crayon, en guise de preuve.
Je voulais pas la suisse, je connaissais pas, je la quitte plus, pour rien au monde, j’ai un travail, trois enfants qui étudient… il marque une pause….mais si le dictateur meurt j’irai leur montrer le pays…il y a beaucoup de morts la bas vous savez dit il doucement, j’ai eu beaucoup beaucoup de chance. Aucune plainte, juste des faits cravachant l’air du véhicule.
C’est quel numéro, le 13 ai je répondu émue et un peu abasourdie par ce récit. J’avais rencontré un être humain empli de courage, d’humilité, de dignité et d’humanité.
J’ai sonné, encore toute remuée. Léonard mon petit fils a couru vers moi, et j’ai mesuré une fois de plus le privilège d’être en vie, en sécurité.
Je l’ai serré fort dans mes bras, quelques larmes discrètes ont glissé en silence, et nous avons joué.
Catherine Z.