Écrire avec des nuances



Imaginons une soirée pluvieuse, un attroupement devant la Joconde au musée du Louvre, ou plutôt une soirée ensoleillée de fin d’été où des milliers de personnes attendent avec impatience, leur smartphone en main, que la vasque olympique s’élève dans le Jardin des Tuileries, à Paris.

Observons maintenant tous ces visages émus ou mus par des expressions diverses et différences entre admiration et mélancolie…

Que valent ces objets que chacun regarde et voit à l’aune de sa propre perspective ?

Comment vit-on ces moments que chacun ressent au prisme de ses propres expériences, et qui dessinent à leur tour une expérience tout aussi personnelle et singulière ?

Demandons maintenant à ces personnes de décrire ou d’écrire sur ces instants qu’elles viennent de vivre.

Au-delà du qualificatif incroyable qui est sur-utilisé, galvaudé à toutes les sauces et qu’on entend partout, les récits seront certainement variés, déclinés en de différentes couleurs ou pour le dire simplement, nuancés.

Aussi écrit-on avec ou en fonction des émotions que l’on ressent ou que l’on a ressenties, tout en mobilisant celles que l’on souhaite partager avec ou susciter chez nos lecteurs.


Finissons-en avec les généralités car la question qui a été posée est de savoir pourquoi je m’attache tant à choisir soigneusement les mots et à toujours essayer d’apporter des nuances lorsque j’écris.

Je me revois, écrivant, relisant et modifiant mille et une fois les mails que j’envoyais à mon entourage professionnel qui avait plutôt tendance à les trouver tranchants, révélant ou affirmant ainsi mes gènes de petite fille de tirailleur sénégalais, ces soldats réputés être mûs uniquement par les ordres qu’ils recevaient et qui semblaient ne connaître que ce type de langage où l’impératif prime sur la recherche de concession.

Et pourtant, pourtant, du côté de ma mère, j’ai grandi dans un environnement où la langue s’est construite autour de l’euphémisme et où le langage est souvent consensuel, comme pour adoucir des réalités parfois trop rudes ou faire accepter et pérenniser une culture de l’approximation et de l’imprécision.

Le lien très fort et le sentiment très intense que j’éprouve à l’égard des mots depuis ma tendre enfance est né de cette grande appétence pour la lecture qui ne me quittera que le jour où je passerai de vie à trépas (chemo brain ou pas), que mon grand-père maternel, qui était écrivain-interprète pour le compte des colons français, a fait naître en moi.

Quand les bonnes sœurs qui géraient l’école où j’ai effectué toute ma scolarité, de la maternelle jusqu’à l’obtention du baccalauréat, m’ont encouragée à lire tous les livres de la petite, mais non moins bien fournie bibliothèque de l’établissement, les collections Jeunes filles en blanc, Alice, Le Club des cinq, Les Six compagnons, ou autre Fantômette ont coloré de rose, de vert et de toutes les couleurs de l’arc en ciel, ma bibliothèque interne.

Au fur et à mesure que mon patrimoine de vocabulaires dans la langue de Molière s’emrichissait, j’ai pu formuler et reformuler les pensées qui me traversaient et faire danser les mots et jongler avec à ma guise et à ma grande satisfaction

Il est largement admis que l’écriture n’est qu’une des diverses expressions d’une langue et donc d’une culture, elle se nourrit de diverses influences. La mienne ne déroge pas à ce constat.

Aussi, si aujourd’hui l’écriture se veut-il à tout prix être inclusive, à mon sens elle doit avant tout être tout en nuances, afin de ménager toutes les sensibilités sans embraser trop de susceptibilités, afin de (faire) comprendre qu’il est des différences qu’on hérite touts à notre naissance.

Et comme personne n’a la science infuse, que l’on soit lecteur/lectrice, auteur/autrice, muse (ou musette?)

Mais étant donné que nous avons le monde en partage, il est important de considérer l’écriture comme un voyage où chacun apporte dans ses bagages des mots bien choisis et bien pesés pour décrire ses réalités ou son imaginaire.

Des nuances pour une meilleure tolérance, une meilleure compréhension et pourquoi pas une meilleure acceptation.


Arielle N’DIAYE, septembre 2024