Si j'étais un homme - Fabienne Folch

Ce matin, je me suis réveillé avec une de ces gueules de bois! On a pas mal déliré hier avec les potes, je me souviens même plus comment je suis rentré. 

Ce dont je me souviens, par contre, c’est qu’il y avait Talulah. C’est la meilleure amie de ma soeur, elles travaillent ensemble. 
J’aimerais bien lui parler, mais je ne sais pas comment m’y prendre. Et si elle ne m’aimait pas?  Je n’ai pas envie qu’elle m’envoie paître. 
J’appelle ma soeur et lui demande si on peut manger ensemble à midi. Qui sait? avec un peu de chance il y aura Talulah.
Je me rase de près, m’asperge d’eau de toilette, enfourche mon vélo et pédale comme un fou jusqu’à la boite où bosse ma soeur. Quand j’arrive, elle se fout de moi et me dit qu’elle m’a senti à 200 mètres de là!  Et quand je vois approcher Talulah, je deviens rouge comme une pivoine. Je me déteste quand je suis comme ça.

Je rêve d’être le mec sûr de lui, comme mon pote Arnaud. Même pas besoin d’eau de toilette, lui, il dégage de la testostérone à gogo. Lui, il serait arrivé sur sa grosse cylindrée, aurait ôté son casque intégral et vérifié ses pneus, en connaisseur.  Lui, il se serait passé négligemment la main dans les cheveux, puis se serait approché d’elle, lui aurait décoché un sourire ultrabright avec sa fossette au menton qui fait craquer les nanas. Elle lui aurait rendu le sourire, bien entendu, tout en regardant, ébahie, sa moto. Alors, grand seigneur, il lui aurait demandé: Tu veux faire un tour?  - C’est vrai, on peut? Mais tu n’as pas deux casques?  Si, t’inquiète, j’en ai toujours un autre, pour aller chercher ma petite soeur au lycée (menteur! il n’a pas de petite soeur). 
- Ah génial, oui je veux bien alors. Mais tu vas pas trop vite, hein? 

Re-sourire carnassier. Il la couve du regard. - Tiens, prends mes gants.  Accroche toi bien à moi. Je vais faire attention. 
Et c’est parti. Il fait vrombir le moteur, et démarre avec douceur. 

Jamais je ne serai Arnaud. Jamais Arnaud ne pourra se mettre à ma place. Que préfère Talulah?  En fait, quoi qu’elles en pensent, ce sont les femmes qui décident.

Fabienne Folch
Mai 2024