Pourquoi écrire un roman ?
J’ai l’habitude des histoires courtes, concentrées. Depuis toujours. Je sais que j’arrive à faire
l’éloge d’une vie entière et bien remplie, de la naissance jusqu’à son terme, en un texte qui va
droit au but. Sans fioritures, avec quelques éclats de lumière de ci de là agrémenté d’une note
poétique et beaucoup de raccourcis, mon personnage prend naissance à la première ligne et
disparaît dans les ténèbres en fin de page. Courte vie, même quand elle dure cent deux ans.
Ces écrits qui ne relève pas toujours de la poésie mais de prose succincte, vont de A à B par
le chemin le plus court, la ligne verticale, le bas de page. Au contraire d’un roman qui…
Tiens, un roman ?
Ça peut commencer comme une histoire courte, par une naissance. La naissance d’une idée,
d’une histoire, d’un lieu et d’un humain. Et je peux vivre avec cette idée, faire naître cette
histoire, inventer et faire découvrir un lieu. Etre cet humain. Grandir à travers lui au fil des
pages, partager ses craintes, ses joies, ses tourments. Prendre le temps d’exister sans mourir
en format A4. Le temps et les humeurs changent en tournant les pages, l’histoire se déroule
chapitre après chapitre, s’échafaude, se construit, s’embellit ou se détériore selon notre envie
jusqu’au bouquet final. Page 22 il pleut à verse dans un ciel provençal zébré par un arc-en-ciel
luminescent et plus loin à la 45, la chaleur est si suffocante que transpirent même les
baigneurs du lac. Magie et miracle du roman, on choisi aussi la météo qui reflète l’humeur de
nos héros.
Alors j’essaie d’écrire un roman.
Pas un écrit Covid confiné au mince pourtour d’une feuille blanche de la grandeur d’une
attestation.
Un roman qui mêle une région à travers les âges avec des techniques ancestrales transmises
par les anciens qui passent le flambeau à la jeunesse conquérante. Un roman qui chante la
nature en toutes saisons avec des femmes et des hommes de différents horizons qui
cohabitent par la force des choses et leur bien à tous. Un roman insoupçonné où les idées
fusent au point que c’est l’histoire qui guide mon clavier et je deviens l’otage de mon
imagination. Un monde féérique où écrire devient un réel plaisir.
Un roman aussi pour partager cet amour immodéré de la Provence qui, malgré les mots
choisis, ne saurait se raconter en histoire courte.
Même jauni par le temps, quelques pages grignotées par des souris anonymes dans un
grenier oublié, les mots réfléchis et posés restent. L’histoire, belle ou moins belle existe. Le
roman nous survit et raconte aussi un peu de notre histoire.
Jean-Jacques Steiner
2 mai 2024