Comment je reviens à ce que je suis quand j'écris - Fernand et Jacques
Comment je reviens à ce que je suis quand j’écris
Fernand et Jacques
Paumé du petit matin, j’ai pris le tram 15 Nations pour les Acacias. J’aurais préféré
prendre le tram 33 pour aller manger des frites chez Eugène mais mon ami Fernand
n’attend pas. Fernand, vieil ami de bientôt 102 ans a décidé de quitter cette terre qu’il
côtoie depuis bien trop longtemps m’a t’il dit. La visite des adieux c’est maintenant. Pour
ce qui est de vivre ou de ne vivre pas, pour ce qui est de rire ou de ne rire plus, je m’en
remets à toi. Tu me racontes cette musique perpétuelle dans ta tête que tu ne peux choisir
et qui t’assourdi entre Tino Rossi et Brahms. Dommage que tu ne captes pas du Grand
Jacques. Heureusement tu peux encore décider du volume. Nous passons en revue les
beaux moments de ton existence et moi je prends dans tes yeux ce qu’il y a de plus
chaud, de plus beau et de plus tendre aussi, qu’on ne voit que deux ou trois fois durant
toute une vie et qui fait que cet ami est notre ami. Chez toi comme chez Jacques, ça sent
le thym, le propre, la lavande et le verbe d’antan. Il est temps de se dire adieu, d’échanger
nos mots d’amour, quelques étreintes non feintes teintées de larmes furtives. On
n’oubliera rien de rien on n’oublie rien du tout on n’oublie rien de rien, on s’habituera, c’est
tout. Facile à lire, bien plus difficile à composer. Il est temps de s’échapper. Mourir cela
n’est rien, mourir la belle affaire, mais vieillir…ô vieillir. Nos amitiés sont en partance mais
qu’est-ce que j’aurais bien aimé encore une fois remplir un corps d’étoiles, t’émerveiller au
reste de tes jours. Peine perdue, tu me quittes Fernand avant le printemps. M’éloignant
des Acacias les yeux rougis, je repense à ces mots qui te sont destinés et me rends
compte que je suis retourné à ce que je suis, un ami esseulé qui aime Fernand et Jacques
Brel.
Jean-Jacques Steiner
22 janvier 2024