L'univers de l'autre - Tatiana Lacroix
On m’envoie à la rencontre de l’autre
Qui est-ce ? Où le trouver ? Comment le reconnaître ?
Je commence par la définition du dictionnaire : l’autre me dit le Petit Robert : qui n’est pas le
même. Voici un premier indice : je dois chercher quelqu’un qui est différent, mais différent de
qui ? De moi ? Et moi, comment suis-je ? Qui suis-je ? Suis-je autre aussi ? Je dois être autre
pour l’autre ? Donc l’autre c’est moi ? Je me perds déjà...
Après la théorie et la réflexion, passons à la pratique. Je sors de chez moi avec mes outils
d’observation : un carnet, un crayon et un appareil photo. Tenter d’observer un autre. Aller
sur son terrain.
Quel est l’habitat de l’autre ? Je dois me rendre à l’évidence, il est partout !! Où que j’aille il
y en a ! Dans l’ascenseur, dans la rue, même chez moi il y a des autres.
La tâche me paraît impossible.
En fait il y a beaucoup d’autres.
Peut-être tenter une nomenclature, un ordre, une classification. Classer l’autre mais avec
quels critères ? la couleur de cheveux ? la grandeur ? le poids ? la forme des ongles, du nez ?
L’âge ? Non, les critères physiques sont bien trop nombreux, j’en ai le tournis.
Alors des critères comportementaux ? Sportifs ? Intellectuels ? Psychologiques ? Littéraires ?
Je laisse tomber devant l’ampleur de la tâche.
Je me dis que je vais laisser faire le hasard : le premier autre que je rencontre, je l’arrête,
l’observe et tente de décrypter son univers. Soyons simple !
Je suis dans la rue devant mon immeuble. Un groupe d’autres arrive. Ils parlent entre eux et
marchent très vite. Je ne peux pas les arrêter, ils vont trop vite.
Je décide d’attendre un peu. Quelques autres passent mais à vélo, à moto ou en voiture.
Ça ne va pas non plus. Première constatation : le monde de l’autre est rapide et bruyant.
Je vois alors un autre tout seul qui semble se promener lentement. Parfait pour mon
objectif.
Je me mets au milieu du trottoir et je l’attends.
Dès qu’il me voit, il manifeste un air étrange et le voilà qui change de trottoir au risque de se
faire écraser par tous les autres motorisés !
Deuxième constatation : l’autre est méfiant et imprudent.
Il faut que je change de méthode.
Je décide d’aller plus loin.
La rue est remplie de groupes d’autres, ils parlent, gesticulent, il y en a qui sont isolés aussi
mais ils parlent et s’agitent aussi, ils ont des oreillettes et un téléphone à la main.
Trouver un endroit plus tranquille. Je continue mon chemin. Un tram rempli d’autres passe
devant moi et s’arrête : une troupe d’autres en sort à toute vitesse et une autre troupe y
remonte tout aussi vite. Le tram repart rempli d’autres autres.
Je continue mon chemin. Une odeur de pain grillé m’attire vers un lieu où une grande
quantité d’autres mangent, boivent, parlent et s’agitent. Ils sont encore une fois en groupe
ou ceux qui sont isolés ont des oreillettes.
Je commande à une charmante autre un café et lorsqu’elle me l’amène, je me dis que je vais
tenter ma chance avec elle. Mais que lui demander ? Je n’y ai pas réfléchi.
Je la prends alors en photo et elle me donne une claque.
Je me dis que l’univers de l’autre mérite d’être approché autrement.
Vivement un autre sujet...
Tatiana Lacroix
Octobre 2023