La solitude
Je suis là, je me promène sur ce sentier enneigé, sans but. Je me remémore un temps à jamais perdu, enfui... Je suis à sa recherche, comme un certain Proust. Je suis à la recherche de ce temps où je pouvais choisir ma solitude, où je décidais de son organisation à ma guise en établissant un programme à moi, me préparant pour le soir un plateau repas devant la télé avec un bon film. Elle est bénéfique et reposante cette solitude qui permet de faire ce qu'on veut, à son propre rythme, un moment volé, un espace de liberté avec un effet ressourçant.
Quand l’être aimé est proche et que l’on est certain d’être aimé, alors se retrouver seule un moment, quelques heures, quelques jours, fait du bien à chacun.
Mais la solitude qui a débarqué dans ma vie, telle qu’elle m’a été imposée, c’est un cauchemar. Elle est arrivée à petits pas feutrés. On ne s’en aperçoit pas tout de suite, elle est fourbe, la bête !
Dans mon cas, elle accompagne la maladie, lui tient solidement la main et, avec elle, son lot de changements. Insidieusement elle pénètre ou plutôt, envahit peu à peu le quotidien qui, avant, pouvait parfois sembler monotone. Mais celui-ci était riche d’échanges, de complicité, de souvenirs. C’était une certaine forme de bonheur. C’est quand il disparait que vous réalisez que vous étiez heureux, tout simplement bien.
J’en reviens à cette bête chafouine qui gobe tout sur son passage. Peu à peu, l’être aimé se recroqueville dans sa coquille, communique de moins en moins tant il est pris, enseveli dans son mal être, dans sa peur peut-être de l’avenir, ses craintes du lendemain. Et là, vous commencez à réaliser et à ressentir la solitude à deux. La communication s’éteint petit à petit et, parfois, comme par magie, comme si une entité invisible appuyait sur un interrupteur, la communication réapparait. On se dit : « Non, je me fais des idées, on est toujours les deux ensembles, comme avant ».
Mais sournoisement, de plus en plus souvent, l’être aimé s'en va, s’enfuit, son regard même a changé. Il est complètement absent, vide, perdu dans ses pensées, comme tourné vers l’intérieur, déjà dans un autre monde dont vous ne faites pas partie. Il n’écoute plus, il faut l'appeler plusieurs fois pour qu’il revienne. Bientôt il n’en aura plus la force. La lumière s’éteint, ses paupières se font lourdes, elles se ferment. Non, la mort ne l’a pas encore pris, mais la force lui manque pour rouvrir les yeux.
Vous savez que la fin approche et vous la refusez de toute votre énergie: "pas déjà !"
Alors, il vous reste la main que vous pouvez prendre dans la vôtre et serrer doucement. Il ne faut pas lui faire mal, il est si fragile. On n’est pas encore vraiment seul.
Puis arrive l’ultime instant où tout fou le camp, tout s’éteint. Le Noir. A cet instant, vous ne réalisez pas encore que cette fois vous êtes définitivement seule, ou vous ne voulez tout simplement pas le constater. Vous ne pouvez imaginer cette sombre réalité, trop dure. Pourtant il y a du monde autour de vous, beaucoup de monde. On vous prend dans les bras, on vous embrasse, on vous dit des mots tendres, doux, mais vous êtes seule. Et cette solitude prend toute sa place, noie, ensevelit tout sur son passage.
Alors, ce qui a pu être un plaisir dûment contrôlé, devient un enfer. Plus d’accueil quand vous poussez la porte. Plus de discussion, plus de communication. Juste le silence, toujours le silence. Qu’il est lourd ce silence, insupportable même. Les larmes coulent, intarissables, comme dans un puit sans fond.
Pour redonner un semblant de vie, vous tournez machinalement le bouton de la radio, de la télé, un peu de bruit, des voix, bref, la vie et les plateaux repas deviennent votre quotidien. Vous les prenez en horreur. Se mettre à table seule en face de Personne quand vous étiez deux, c’est intenable.
Vous devez apprendre à vivre avec « ce néoplasme » qui est là dès que vous franchissez la porte, qui vous envahit, vous « bouffe », vous détruit peu à peu, on se sent en pleine déréliction.
Pour terminer mon chemin de solitude je citerai cette phrase qui résume tout :
« la solitude est la pire douleur car elle cache en elle, la compagnie des absents ».
C. K.