Féminité
Définir la féminité
Le trait de khol
L’air brûlant du désert avait accablé les habitants. Encore quelques heures et la fraîcheur de la nuit déposerait son voile bienfaisant et la palmeraie s’éveillerait de sa léthargie.
Les palmes des dattiers bruissaient sous les derniers assauts du khamsin. Les lourdes grappes
pleines de dattes charnues et sucrées annonçaient une récolte abondante. Les bêtes s'abreuvaient à la source, se bousculant pour avoir la meilleures place. Les enfants qui les gardaient riaient aux éclats en s’éclaboussant. A la faveur d’un souffle de vent, des effluves de jasmin enveloppèrent la scène.
Une caravane était attendue ! Tout devait être prêt pour offrir l’hospitalité aux voyageurs. Les
hommes s’affairaient autour des méchouis. Les femmes avaient revêtu leur plus beaux voiles -
une explosion de jaune, orange, or, argent. Leurs mains, telles des dentelles de henné,
virevoltaient autour des verres et des théières qui accueilleraient le thé à la menthe.
Soudain un cri :
—La bas !
Une silhouette irréelle apparut dans l’air vibrant au sommet de la dune. De noir vêtue, sa démarche chaloupée la rapprochait de la palmeraie.
Les enfants accoururent pour apercevoir l’étrangère, car oui, il s’agissait bien d’une femme qui marchait en tête d'une caravane.
Elle était incroyablement belle et semblait glisser sur le sable. Dans son sillage flottait le musc, le
jasmin et la fleur d’oranger. Vêtue d’une djellaba, son voile avait glissé sur son épaule, laissant apparaître une longue et opulente chevelure ébène qui ondulait à chacun de ses pas. Ses lèvres charnues et son nez fin et droit régnaient en maître sur ce visage d’un ovale parfait. Mais le plus remarquable était son regard, profond, fier et intense. Ses yeux avaient la forme de deux amandes et leur couleur de geais reflétaient toute la profondeur de son âme. Un épais trait de khôl sur la paupière supérieure apportait de la douceur.
Naïma se dirigea vers le chef de la palmeraie. Il fallait s’occuper des bêtes et installer le camp.
—Bonjour Chef Ibrahim, où pouvons nous nous installer ?
—Bienvenue Naïma! Au nord-est de la palmeraie ; il y a un terre-plein ombragé avec un puit où
vous pourrez dresser les tentes et un enclos pour les bêtes. Suis-moi !
Naïma et Ibrahim se connaissaient bien ; la palmeraie était un point stratégique pour toutes les
caravanes qui traversaient le désert, mais c’était la première fois qu’il la voyait à la tête de son
clan.
Naïma était l’aînée d’une fratrie de cinq enfants. Ses deux petits frères étant trop jeunes pour diriger
l’expédition, elle s’était vu confier ce rôle à la mort de leur père.
Elle avait seize ans. Élevée par les femmes de son clan, s’était une enfant rebelle. Traire les
vaches, préparer les repas, laver le linge, très peu pour elle ! Elle était un vrai garçon manqué.
Monter à cheval ou à dromadaire était son passe-temps favori.
Depuis toute petite déjà, elle avait conscience de son importance. Elle n’avait jamais été loin de son père
lorsque la caravane se formait. Rien ne la captivait plus que l’effervescence d'un départ. Les
ballots d’épices et d’encens que l’on chargeait sur les dromadaires, les sacs de sel, si précieux,
bien fixés sur leurs flancs rebondis. Les hommes qui criaient après les bêtes nerveuses. Les
femmes qui s’interpellaient, les enfants qui chahutaient. Évidemment sa mère la cherchait partout pour aider à rouler les tapis, ranger la vaisselle et le linge, mais dès que Naïma la voyait arriver, elle allait cacher tout contre Takouman son étalon gris.
Elle avait développé, au fil des ans un grand sens de l’observation. Elle savait exactement
comment organiser la caravane : les bêtes les plus fortes et les plus âgées en tête pour montrer le
chemin aux plus jeunes, les points d’eau où faire halte.
Son père lui avait appris les secrets du désert, les signes avant-coureur d’une tempête de sable. Il
l’avait aussi initiée au commerce où elle se révélait être une redoutable négociatrice. Elle maîtrisait
parfaitement la technique du marchandage et n’hésitait pas à user de ses charmes face à un
acheteur un trop récalcitrant.
Toutes ces qualités l’avaient menées à la tête de la caravane arrivée saine et sauve à la palmeraie.
Ibrahim lui montra l’emplacement, elle pouvait installer son clan.