Pourquoi j'écris ?
Il n’y a pas de réponse directe à la question de savoir pourquoi j’écris, il n’y a que des réponses obliques à trouver dans mes textes. Et en disant cela, je fais oeuvre d’orgueil parce que je parle comme si j’avais écrit nombre de livres ou autres contributions. Ce n’est pas le cas.
Bien avant d’écrire sérieusement, je composais des histoires dans ma tête ou imaginais avec mes petits soldats ou mes Legos des épopées ou de simples récits qui, à leur manière, étaient de la proto-littérature. Écrire, c’est donc d’abord créer des histoires, des récits.
Au commencement était le verbe. La Bible s’ouvre sur ces mots. Longtemps, je me suis demandé ce que cela signifiait, aujourd’hui je pense que cela veut dire que sans mise en mots, sans récit explicatif, le monde n’existe pas. Dans son best-seller « Sapiens », Yuval Noah Harari postule que c’est la possibilité de collaborer sur des tâches communes, donc de conceptualiser, qui distingue homo sapiens de ses prédécesseurs, notamment des néandertaliens dont le cerveau était pourtant plus gros. Autrement dit, les humains ont construit le monde en l’imageant par des mots et, pour revenir à la Bible, la création a commencé à ce moment-là. Mots, images, les deux se valent symboliquement. Mon talent cependant s’exerce à l’écrit, je ne suis malheureusement pas aussi à l’aise avec le dessin, donc j’écris. J’ai en moi des histoires depuis toujours. Je tisse depuis l’enfance une toile de récits intérieurs qui me servent à me relier au monde en donnant du sens à ce que je vis et je vois.
La réalité des mots et des images, peintures, photos, m’aide à supporter la réalité du monde dont je me suis toujours senti un peu étranger.
J’écris pour me libérer du corset du quotidien, inventer un monde en relief et en couleurs, m’évader du monde réel pour le recréer tel que je le vois. Il ne s’agit pas de décrire une utopie, un monde idéal, mais d’y mettre ma patte pour me l’approprier. L’écriture a une fonction médiatrice entre le monde et moi, elle m’aide à comprendre le monde en le mettant en scène, en l’observant du dehors. L’écran de mon ordinateur devient le paravent sur lequel le monde se dévoile au fur et à mesure que progresse ma rédaction. Je peux tester des réactions, reproduire des comportements en essayant d’en pénétrer la logique, revisiter des situations vécues mais non digérées, je peux surtout donner de l’épaisseur au quotidien.
Nous sommes des poupées russes qui contiennent des mondes emboîtés à l’intérieur. J’écris pour faire vivre ces mondes. Le monde, nos vies, sont des entrelacs d’histoires dans lesquelles l’invisible dépasse de loin le visible. L’art donne forme à l’invisible. Je pense aussi qu’il y a l’écrit, d’une part, et la littérature, d’autre part. La différence tient à la forme. L’écrit, c’est le tout dont la littérature est un sous-ensemble. La littérature est une manière de raconter dans laquelle la forme est elle-même narration. C’est utiliser la langue, les langues, car il n’est pas interdit de mélanger, comme une matière souple, c’est faire usage de la vibration propre à chaque mot, c’est marier les mots d’une manière personnelle, créer un style, affirmer un regard. C’est faire naître un monde nouveau. C’est cela que, personnellement, j’essaye d’atteindre.
Écrire ce n’est pas simplement déposer des mots les uns à côté des autres, c’est poser des mots qui entrent en résonnance, multiplient leur sens, leur signification, par la juxtaposition délibérée effectuée par l’auteur. La force d’un texte tient aussi à sa polysémie, aux vibrations que les mots utilisés dégagent de par leur proximité, aux allusions que le voisinage contient, aux mondes souterrains évoqués en sus du signifié évident.
A mes yeux, trop de livres n’ont pas cette force. Est-ce à dire que leurs auteurs n’ont pas les ressources nécessaires à faire naître un monde ? Comment concilier le besoin de raconter, de se raconter, et celui de créer ? Où est la jonction entre les deux choses ? Je ne sais pas. Disons qu’un livre qui n’a pas la faculté de toucher une essence, l’essence d’un être, d’une relation, d’une histoire, que sais- je, n’est sans doute pas de la littérature, mais de l’écrit.